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coup d'oeil, coup de coeur
29 janvier 2012

Et si on décidait d'inventer une nouvelle école?

Français, Françaises, 60 000 enseignants en plus…

 

Si l’éducation est un préalable indispensable à l’épanouissement des individus et à leur intégration dans la communauté humaine, l’institution scolaire, telle qu’elle existe, même avec toutes les inventions cosmétiques et démagogiques possibles, est-elle l’instrument adéquate, est-elle à la hauteur des attentes qu’on pourrait légitimement placer en elle ?

Le fameux mythe platonicien de la caverne nous montre certes que l’humanité a besoin de guides, mais le problème est la qualité de ces guides, leurs motivations, car si le philosophe dans la perspective platonicienne peut, doit indiquer la voie du bien et de ces félicités supérieures dont les réalités humaines ne fournissent qu’une imparfaite image, ceux qui s’érigent en maîtres, ceux qui se réclament de cette fonction, de cette vocation, ne le font jamais librement ni avec un désintéressement entier : comme  l’histoire nous le montre, ils sont toujours dépendants, directement ou indirectement, volontairement ou non d’idéologies et d’intérêts qui les dépassent.

L’enseignant pourrait être idéalement un de ces guides qui montrent aux hommes engoncés dans les ténèbres le « chemin supérieur ». L’institution scolaire pourrait être ce lieu où l’individu serait révélé à lui-même et à sa vérité tout en favorisant son entrée dans une communauté humaine régénérée, car une éducation digne de ce nom devrait d’abord avoir pour but de permettre à chacun de s’épanouir. Ce n’est qu’après, par une sorte de conséquence, de suite nécessaire que l’individu équilibré, harmonieux entrerait dans la société, sachant que la confrontation des individualités, le frottement des personnalités diverses, loin d’être un frein à l’esprit communautaire,  en serait la vraie force. Une éducation qui vise seulement à formater les individus pour les faire entrer dans le schéma préexistant des sociétés ne mérite pas ce nom. Il s’agit alors d’un dressage, d’une aliénation progressive et l’histoire encore fournit à ce propos une abondance d’exemples. Il ne s’agit donc pas de presser des individus dans des moules préétablis en invoquant les traditions, l’autorité, les nécessités sociales et politiques, économiques, l’idéologie ou les religions, mais de permettre à de jeunes femmes et de jeunes hommes épanouis par une éducation ayant su transformer des potentialités en réalités de créer une société, de faire évoluer une société correspondant à leur singularité et à leur pluralité. Le rôle d’une école bien comprise – mais c’est une évidence – ne peut être autre que de permettre à chacun et à tous le plus grand bonheur possible, l’harmonie la plus parfaite. A chacun de gloser voire d’ironiser sur la signification de ces termes.

Conçue de cette façon, l’éducation ne peut d’ailleurs se limiter au temps de la scolarité et doit accompagner l’individu sa vie durant, car rien n’est jamais définitif, parfait au sens grammatical du terme, d’autant plus que la société elle-même, de par l’arrivée constante de nouveaux membres sera amenée à constamment évoluer.

Pourtant, face à une telle ambition partagée par tous ceux qui se sont appelés pédagogues, la réalité de l’école a toujours été décevante parce qu’elle ne forme par ces individus libres : les enquêtes d’opinion, les faits-divers, le goût actuel pour l’autobiographie, le succès des psychothérapeutes, des gourous, le retour des formes les plus sectaires des religions,  …, montrent que l’homme moderne souffre. En quête des fragments d’un moi riche et ouvert, libre, l’individu se sent à l’étroit, simplifié, schématisé, réifié : il est fait par le système dans lequel il vit ! En revanche, à côté de ces réalités, le discours sur l’école raconte une toute autre histoire faite d’altruisme, d’humanisme et de bons sentiments !

Mais derrière l’affichage de ces bons sentiments, l’école n’a jamais rien fait d’autre que de soutenir les intérêts des castes ou des classes dirigeantes, tout en assurant la paix sociale puisqu’il ne convient pas de laisser trop d’indépendance aux classes défavorisées qui pourraient devenir des classes dangereuses ! Quand les politiciens du XIXe s. s’emparent progressivement de l’école et réduisent ainsi quasiment au silence le premier grand prédateur en matière scolaire, l’Église, l’ancien allié de tous les régimes, le compère avec lequel on s’entendait comme larrons en foire pour faire haro sur le baudet-peuple, l’Église qui dans un monde désormais livré aux forces du capital et de la productivité avait tendance à devenir un  chétif adversaire et un empêcheur de tourner en rond, cette main basse sur l’école se fait au nom des plus grands principes, bien sûr, des plus honorables, au nom de l’homme, de la démocratie, de la philosophie, en se drapant dans les plis du drapeau de la République, une Res Publica qui n’appartient en réalité qu’aux nantis, aux nouveaux aristocrates ou ploutocrates nés des nouvelles institutions.  Les discours des ministres de la Troisième République, Jules Ferry en tête, sont les exemples les plus parfaits de ce double langage, de cette duplicité. Aujourd’hui, on ne fait pas autrement, mais d’une manière un peu plus fine sans doute : on proclame comme une grande découverte qu’on veut à tout prix placer l’enfant au centre du système scolaire (!) quand on fait tout pour satisfaire essentiellement la demande du capitalisme libéral.

L’école n’est pas à la hauteur des attentes que les esprits naïfs placent en elle : ni émancipatrice, ni libératrice, ni formatrice d’individus libres. L’école est et a toujours été au service de… Les hussards de la République sont bien forcés de faire – s’ils y réfléchissent un peu – autre chose que l’éducation dont il est à espérer qu’ils ont rêvé, un rêve d’ailleurs à peine possible puisqu’ils sont eux-mêmes les meilleurs produits d’un système qui s’est donné d’autres valeurs que les valeurs humanistes et parce que la force de l’habitude fait trouver juste ce qui ne l’est pas forcément…

 

Jadis l’Église a développé un enseignement à son profit parce qu’elle avait besoin d’un clergé assurant son emprise sur tous les rouages de la vie et parce qu’elle cherchait constamment à développer sa puissance. Sa finalité pouvait certes être d’établir le royaume de cieux sur terre, mais la confusion entre la puissance temporelle et l’idéal proclamé a vite fait que les moyens ont vite supplanté les finalités et que celles-ci ont été repoussées dans une eschatologie bien arrangeante, d’autant plus que les puissances laïques qui se reconstituent après la période de trouble qui suit la chute de l’Empire romain lui proposent complaisamment leur glaive tout en s’appuyant sur cette Église, la seule force constituée. De cette union à bénéfices réciproques naît une école ou le concept d’une école au service des puissants, une école réservée à quelques élus bien entendu. Une école qui fera école !

Une démocratisation de l’institution scolaire n’est pas envisageable jusqu’à la Révolution parce que les conditions ne la permettent pas, même si de nombreux esprits, au cours des siècles, critiquent l’école telle qu’elle est et proposent d’autres modèles.

Sous la Révolution, on pourrait s’attendre à un nouveau départ, mais la situation du pays, les conflits internes et extérieurs ne permettent pas d’avancées notables malgré l’abondance de projets généreux, mais aussi, déjà, d’idées qui préfigurent ce que deviendra l’institution scolaire dans l’état bourgeois engagé dans la révolution industrielle. Ces idées germent avec l’Empire qui met en place les jalons définissant une institution consacrée à une nouvelle France désireuse d’entrer dans la compétition internationale. L’Empire, pour de simple raison d’économie et d’ordre public, concède à l’Eglise, rehaussée, après ses déboires révolutionnaires, au grade d’alliée de circonstance, l’enseignement primaire car les principes moraux prêchés peuvent servir à contenter les masses. Cet enseignement paraît se démocratiser au cours du siècle moins par humanisme que par nécessité économique : il faut fournir à l’industrie naissante la main d’œuvre susceptible de répondre à ses exigences, l’Église transmettant à ce prolétariat taillable et corvéable contre quelques rudiments d’éducation les consolations nécessaires et les règles morales qui éviteront, pense-t-on, révoltes et troubles. Le secondaire poursuit de son côté assez imperturbablement la tradition de l’Ancien Régime : former une caste de dirigeants qui possèdent un savoir certes nécessaires (ouverture aux sciences) mais aussi unie par une même culture (la place du latin, certains auteurs classiques, la rhétorique…), les mêmes mythes littéraires et historiques : en un mot, une culture de classe qui contraste avec la maigre culture de masse dispensée aux petites gens.

Avec la République le mouvement s’accélère sous la pression du concurrent allemand particulièrement. 1870-1871 est instrumentalisé comme essayera de le faire plus tard avec la défaite de 1940 l’ « État français » de Vichy : provoquer une sorte de sursaut national en faisant passer des vessies pour des lanternes. Pour Jules Ferry et ses successeurs, il s’agit avant tout de permettre à la France des De Dietrich et autres magnats de rattraper le retard économique et industriel pris par rapport à l’arrogante Allemagne et ses Krupp, d’adapter les ressources disponibles à la demande des forces du capital de l’état bourgeois.  L’école, presque entièrement laïcisée prend certes en charge la formation de quasiment tous les enfants, mais les perspectives demeurent structurellement semblables. Il ne s’agit pas de former des citoyens libres et indépendants dans leurs décisions mais seulement aptes à s’intégrer dans un monde dominé par la lutte économique. La morale chrétienne est simplement sécularisée (comme les premiers chrétiens christianisaient les temples et monuments païens) : le patriotisme, la morale dite républicaine (Travail, famille, Patrie ! déjà !), le culte des grands hommes et les mythes nationaux…

Cet état de fait se poursuit de nos jours sans grands changements en profondeur. On peut seulement observer que la démocratisation apparemment complète de l’institution scolaire, l’accès généralisé au bac et aux études supérieures ne se fait qu’en raison de la demande en compétences de la société productive tout en laissant accroire au vulgum pecus qu’un bâton de maréchal se trouve au fond de la besace qu’il traîne après lui.

Et le libéralisme triomphant impose ses diktats. Tout cela est dissimulé derrière un rideau de belles paroles, un discours altruiste en apparence et uniquement préoccupé du bien de l’enfant ! On se réjouit de l’accès de 90 ou 98% d’une classe d’âge au baccalauréat, alors qu’il ne s’est agi que de se mettre en adéquation avec les recommandations de l’OCDE, l’agence de notation pédagogique qui distribue satisfecit et blâmes comme Mooding and Co à l’égard de la Grèce ou du Portugal, de la France : le mot d’ordre est clair, l’économie mondiale a besoin de diplômés, de plus en plus de diplômés. Formons donc des diplômés… Il ne s’agit que de réguler les flux de travailleurs, de garder au parking scolaire le trop plein qui gonflerait les chiffres du chômage, d’orienter vers les métiers qui ont de l’avenir les jeunes, de faire croire à tout le monde qu’aujourd’hui tout est mieux qu’hier et que nos chères têtes blondes bénéficient d’une meilleure et plus complète éducation, qu’ils seront mieux armés à affronter la vie et les défis d’un monde qui change si vite ! Ces examens sont toujours présentés comme l’ascenseur social par excellence, alors que toutes les études sérieuses montrent que rien ne change dans une société figée dans ses structures. On paye en monnaie de singe ! Et cette société est d’autant plus figée que l’ouverture de l’école sur le monde, ce maître mot tant proclamé de la pédagogie des années 80-90 ne contribue qu’à servir cet impératif d’adéquation entre ce qui est appris et ce qui est exigé par l’industrie, la finance, les marchés : former un exécutant et un consommateur  puisque les deux fonctions essentielles de l’homo sapiens moderne, de l’homo oeconomicus sont désormais l’inscription dans le processus de production au sens large du terme et la consommation, aucune classe, aucun âge, aucun sexe, aucune confession ne devant échapper à cette double dépersonnalisation des individus.

La part qui reste à l’être en soi est devenue peau de chagrin, détail de l’histoire.

Pourtant des craquements se font entendre, ce système bien établi se fissure en apparence. Du côté des « usagers » (des usagés !) d’abord puisque les jeunes gens comprennent qu’on se moque d’eux et ne sont plus prêts à accepter pour argent comptant la monnaie de singe qu’on leur donne. Tous ces jeunes Français de la troisième ou quatrième génération sont moins  prêts à révérer un système scolaire et ses valeurs, qui ne fait pas totalement partie de leur bi culturalité ; toutes ces jeunes filles qui désormais ne veulent plus qu’on les enferme dans ce qu’il y a quelques lustres encore on considérait être un destin de femme.

Les jeunes sont mûrs plus tôt et ne sont plus les gogos obéissants d’hier. Ils exigent désormais d’avoir réellement leur mot à dire et faire entrer dans l’école des concepts comme ceux de bonheur, de créativité réelle, d’autonomie, d’écologie, de politique, de culture vivante, du droit à ne rien faire…

Fissures encore du côté des enseignants qui se résolvent de moins en moins à accepter leur destin de prolétariat intellectuel, de rouage d’un système qui les dépasse. Ils ne veulent plus qu’on exige d’eux tout et n’importe quoi : dispensateurs « du » savoir, éducateurs, animateurs, matons, gardiens d’enfants, boucs émissaires de tous les maux de la société, mal payés, mal traités, réduits à exercer leur métier dans des conditions précaires (classes surchargées, formation réduite à rien…).

Craquements aussi du côté de la structure : des coûts exorbitants et pourtant des budgets insuffisants pour parvenir à un véritable enseignement de masse de qualité ; le poids de plus en plus important du politique et de l’économique qui en vient même à dicter par exemple le calendrier des vacances.

Craquements enfin du côté des donneurs d’ordre, des mandants masqués : si les statistiques sont excellentes, les résultats de la formation déplaisent, ne correspondent pas aux attentes. On déplore les « niveaux », on considère avec inquiétude cette jeunesse qui commence à revendiquer de façon sauvage, inorganisée et qui n’admet pas que la monnaie de singe qu’on leur donne ne serve quasiment à rien d’essentiel… Alors les formations d’entreprise se multiplient, on préfère dresser soi-même ses esclaves, des BTS spécifiques par exemple échappent quasiment à l’éducation nationale comme ce BTS FNAC d’il y a quelques années ! Les écoles privées se multiplient, l’état dépense des sommes folles pour soutenir, au détriment du secteur public, des universités privées, des grandes écoles dont le but premier est de fournir les cadres du système…

 

La vieille institution  scolaire se meurt, la vieille institution scolaire est morte : sous différents avatars elle est fondamentalement restée semblable à elle-même : aux ordres des puissants. Personne de sensé n’en veut plus désormais et ce n’est ni une question de pédagogie ni de didactique, mais une question de transformation totale de l’organisation et des contenus. Pas de révolution sans que cette institution ne devienne un véritable pouvoir indépendant tout en demeurant  un service public, le plus important sans doute. Traditionnellement, on distingue les trois pouvoirs et la constitution garantit l’indépendance de l’exécutif, du législatif et de la justice. L’éducation nationale devrait devenir le quatrième pouvoir, indépendant des instances politiques et économiques, avec son propre budget et une organisation ouverte réfléchissant non seulement la structure de la communauté enseignante : enseignants, élèves, parents, personnel non enseignant, mais aussi celle de la société civile dans sa diversité.

Sur le plan des contenus et de la transmission des contenus, tout est à revoir : le rôle du professeur, celui des élèves,  la gestion démocratique des établissements, l’auto discipline, l’organisation et la chronologie des études, les apprentissages, l’ouverture aux professionnels, la participation parentale, la fin des classes fermées sur elles-mêmes à partir d’un certain âge…

Quant à son organisation matérielle, il faut en finir avec cette structure carcérale, l’obligation de tenir les corps assis 6 ou 7 heures par jour sur une chaise, l’absence de cogestion véritable pour ne pas dire de démocratie, l’idée qu’il existe des adultes et des jeunes, les premiers détenteurs de tous les savoirs, les seconds cantonnés dans un  rôle passif. Cette nouvelle institution réaliserait enfin le vœu d’Illich, « déscolariser l’école » tout en devenant libre, indépendante, avec pour principale finalité : l’enfant, sa personnalité, son développement. Qu’enfin les paroles (« placer l’enfant au centre du système ») rejoignent les faits.

 Un défi à relever certes, mais à l’horizon une société où les hommes seront moins malheureux et où l’environnement sera mieux pris en compte car tout se tient.

Dans cette optique, la question des 60000 enseignants en plus est une fausse fenêtre, une échappatoire. Une fois de plus, la politique shoote en touche et la démagogie de gauche fraternise avec l’hypocrisie de droite.

(Résumé, si l’on veut, d’un essai à paraître (si éditeur lui prête vie): Au diable l’école.)

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